dimanche 20 juillet 2008

Ecologie : un retour au paganisme ?

Ecologie : un retour au paganisme ?


Sachez donc, premièrement, que par la Nature je n'entends point ici quelque Déesse, ou quelque sorte de puissance imaginaire... (Descartes, Le monde, Chapitre VII, Garnier 1963, page 349.)



Michel Serres, Le contrat naturel :

Je me souviens de la conférence de Michel Serres au Virgin Mégastore de Bordeaux en 1990. Auréolé de la gloire de son élection à l’Académie Française, il venait présenter son dernier ouvrage, Le contrat naturel (François Bourin, 1990)

Ce livre a presque vingt ans et, s’il reçut un accueil des plus brillants alors, je crois que le statut de récent Académicien de son auteur y fut pour davantage que l’ouvrage lui-même.

Non pas que le texte soit sans mérite, loin de là ! Et j’invite même tous ceux qui pensent la place de l’homme dans le monde et son rapport à la Nature à le relire attentivement. Non : je pense que les thèses de l’ouvrage étaient peut-être trop anticipatrices pour être prises au sérieux ou même être simplement comprises par les lecteurs de 1990.

Le Contrat naturel ne se contente pas de « dire la beauté fragile de la Terre ». Considérée depuis le début de l’humanité jusqu’à l’ère rationaliste comme une puissance maternelle et protectrice, cause de toute vie, la Nature tombe dans l’oubli à partir du Contrat social qui est théorisé par les philosophes du droit naturel moderne ; contrat qui, passé librement entre les hommes leur font quitter l’état de nature, les déracinent de la Nature pour véritablement les enraciner dans l’Histoire. L’homme oublie alors la nature, qui s’est retirée plus loin que la ligne de l’horizon humain.

Michel Serres nous dit, page 62, que « ce contrat [qui] nous fit quitter l’état de nature pour former la société [est] étrangement muet sur le monde. » Il écrit un peu plus loin : « On dirait la description, locale et historique, de l’exode rural vers les villes. […] La nature se réduit à la nature humaine qui se réduit soit à l’histoire, soit à la raison. Le monde a disparu. »

Sans le citer, l’auteur fait ici implicitement référence à Rousseau, bien sûr, (et particulièrement Du contrat Social, chapitre VIII) qui nous décrit le passage de l’état de nature à l’état civil.

En jetant les prémices d’une science appliquée, après avoir défini les critères de la connaissance objective, Descartes applique sa science de la mathématique de la nature. Cette nouvelle conception philosophique du monde révolutionne l’approche de la connaissance du monde physique. Cette domination de la nature par les hommes, les Anciens en ont rêvé, Descartes l’a fait. Cette théorisation définitive du Droit naturel vient achever le processus inauguré par Descartes.

Ce bref rappel pour éclairer la finesse de l’analyse de Michel Serres qui montre, en 1990 déjà, le prévisible « retournement » de situation (page 61) : « Or, à force de la maîtriser, nous sommes devenus tant et si peu maîtres de la Terre, qu’elle menace de nous maîtriser de nouveau à son tour. […] Plus encore que nous la possédons, elle va nous posséder comme autrefois, […] mais autrement qu’autrefois. Jadis localement, globalement aujourd’hui ». Encore plus finement, pour ceux qui voudront lire car il faut aller encore plus loin dans l’analyse de l’argumentaire, Michel Serres, par sa définition de l’homme-parasite et par sa théorie du symbiote, ainsi que par les solutions qu’il propose, notamment celle de reconduire un contrat naturel en plus du contrat social et non pas contre le contrat social continue à proposer une voie qui tend à l’Universalité, par un pacte ultime qui serait la synthèse mûrie de tous les rapports passés entre l’homme et la nature.

Il balaye ainsi a priori, en faisant l’économie de la citer, la désormais classique, creuse, fausse et manipulatrice dénonciation marxiste qui n’est que cause d’erreurs stériles mais souvent dramatiques et cause de batailles anachroniques de clochés idéologiques en ruines : l’industrie capitaliste, égoïste, aurait asservi l’univers tout entier pour son seul profit ! Si nous avions aussi mauvais esprit que les marxistes, nous ferions remarquer que ce sont d’ailleurs les pays communistes (donc pourtant anticapitalistes !) qui participent le plus à la destruction de la planète : la Chine est désormais le premier pollueur au monde, les sols les plus pollués du monde se trouvent autour des entreprises minières et nucléaires russes, nos camarades soviets coulant par ailleurs leur flotte de sous-marins atomiques au fond des océans sans la moindre vergogne, sans le moindre souci écologique…

Non, ce ne sont pas les seuls capitalistes qui ont asservis l’univers. Les communistes, les marxistes, les maoïstes ne sont pas en reste. Et d’ailleurs, qui nous rappelle les couleurs du drapeau planté dans un parfait mépris de l’humanité sous le pôle nord exactement ? Les fils de Marx et d’Engels nous préparent là un grand moment de paix et d’écologie planétaire !

Non, ce ne sont pas les seuls capitalistes, ni les seuls communistes. Ce sont les hommes tous ensemble, dans ce qu’ils ont de plus universel et de plus banal à la fois qui ont endommagé la Terre au point que sa santé nous inquiète tous aujourd’hui.



Luc Ferry, Le nouvel ordre écologique :

A cela, il convient d’ajouter la lecture indispensable à mon avis du Nouvel ordre écologique, publié en 1992 par Luc Ferry chez Grasset.

Je me rappelle que l’ouvrage, à sa sortie, avait fait naître un véritable débat public parce qu’il replaçait la pensée écologiste moderne dans l’histoire de la pensée, mais qu’il « osait » aussi démontrer comment les thèses les plus radicales de l’écologie profonde s’appuyaient sur un antihumanisme (pour ne pas dire une haine de l’humanisme), un « sentimentalisme romantique » qui est l’une des bases du nazisme et qui se retrouve aujourd’hui dans les courants les plus gauchistes de l’écologie moderne… (Les extrêmes se rejoignent, même en écologie. Etonnant, non ?)

L’intérêt de la lecture de cet ouvrage de Luc Ferry réside autant dans la mise en perspective de toutes ces notions grâce au très sérieux travail d’historien des événements et d’historien de la philosophie qu’il propose, mais aussi par la critique radicale qu’il fait du Contrat naturel de Michel Serres. L’argumentation est philosophique, mais elle est si bien présentée, si clairement étayée par Luc Ferry, qu’elle est non seulement abordable mais passionnante.

Pour ceux qui se veulent « écolos », sans être victimes des discours manipulateurs de l’extrême gauche qui fait de l’écologie son cheval de bataille (oubliant trop aisément que les communistes sont non seulement de grands bourreaux de l’humanité mais aussi de grands fossoyeurs de la planète), ces deux ouvrages, lucides et assez antithétiques de deux philosophes contemporains sont donc vivement conseillés.

Conclusion :

A la sagacité de mes rares lecteurs, je livrerai quelques unes des questions qui me reviennent fréquemment quand je pense à l’écologie moderne :

Cette vénération de la Terre chez les écologistes est-elle réellement souci pour la planète et pour l’humanité ou instrumentalisation de l’état de la planète contre l’humanité et principalement contre une forme d’humanisme développé en occident ?

Cet écologisme anti-humaniste n’est-il pas un anti-occidentalisme ?

Cet anti-occidentalisme n’est-il pas une forme encore larvée d’anti-chrétienté (comprise d’ailleurs davantage dans sa dimension historique et culturelle que religieuse) ?

Cette déification de la nature, à laquelle on assiste de plus en plus clairement, n’est-elle pas un retour à ce qui fut les fondements même du paganisme ? Et là, nous savons tous où conduit l’exacerbation d’une nature sanctifiée, d’une nature qui propose à l’homme la relation païenne et romantique.

N’y a-t-il pas, dans l’écologisme tel qu’il se développe, une lutte contre la raison, contre la rationalité, visant au développement, dans ce domaine précis après qu’elle en ait corrompu tant d’autres, de l’irrationalité ?

L’écologisme, s’il se veut un discours contre la science et contre le progrès, peut-il raisonnablement faire croire qu’il veut le bien de la planète et le bonheur des hommes alors que ce défi, de garder la planète en un état suffisant pour que les civilisations perdurent, seuls les progrès scientifiques unis à une action politique raisonnée et globalisée sauront justement le relever ?

1 commentaire:

  1. Monsieur Felici,
    Ces questions sont tout à fait pertinentes.
    J'ai moi-même lu un livre faisant le rapprochement entre le "sentimentalisme romantique" de la pensée nazie et l’écologisme fondamentaliste. "Ecofascismo" de Jorge Orduna. L'auteur attribue concrètement une origine nazie aux grandes ONG écologistes internationales.
    Cependant, je pense moi aussi que les fondements de cette pensée, en tout cas en France, sont à chercher plutôt dans l'anti-occidentalisme et l'anti-chrétienté.

    Un exemple flagrant est pour moi le mythe du bon sauvage amérindien, évoluant dans une société encore vierge de tous les vices européens: vie en harmonie avec la nature déifiée et sacrée, absence de la propriété individuelle, absence d'armes à feu, absence du capital. Ce bon sauvage aurait été confronté au monstre européen, capitaliste, urbain, prédateur de la nature et des hommes et chrétien.
    La violence des premiers contacts et le génocide engendré dans certaines régions américaines sont indéniables.
    Cependant, le mythe omet la violence intrinsèque des sociétés amérindiennes (guerres, sacrifices, décapitations en masse...), l'impact de ces sociétés sur l'environnement, parfois très positif (développement de l'agriculture, génie génétique) et parfois désastreux (déforestation, épuisement des ressources), l'hyper-urbanisation de certaines d'entre elles, l'oppression exercée par les unes sur les autres, etc...
    Le mythe fait de ces aspects l'apanage des européens et associe à l'arrivée de ces derniers la rupture d'un équilibre naturel vertueux par essence.

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